La médiation sociale, institutionnelle et familiale en Afrique. Contextes, méthodes, services et compétences

1. Contexte 

Dans le sens courant, la médiation désigne les situations où une personne tierce, le médiateur.trice, intervient entre deux parties en vue de les aider à résoudre un conflit. C’est ainsi que l’on parle de médiation familiale ou de médiation juridique. La notion de médiation est dans ce cadre liée à celle de pacification et de rétablissement de liens harmonieux entre les membres d’une communauté. En France, on a connu la création dans les années 70 d’un poste de médiateur de la République dont la mission est de rétablir les relations entre les citoyens et l’administration. Progressivement ce terme va gagner le secteur culturel, scientifique, etc.

 

Au sens religieux, le médiateur est celui qui fait le lien – celui qui apporte le message ; les anges, les prêtres, les prophètes, etc. sont des intercesseurs/des messagers–. Au sens philosophique du terme, le médiateur c’est aussi un initiateur, celui qui est entre-deux/ au milieu : entremetteur qui organise la transaction dans la relation d’apprentissage par exemple. « Si on connaît la relation qui unit le disciple à son maître, avec le passage de témoin que cela suppose, la volonté de transmission et d’accomplissement de part et d’autre, c’est bien là que réside le noyau dur de la relation pédagogique qui se présente comme une relation initiatique » (Chaumier, Mairesse, 2016, p. 65). Au sens juridique, la médiation correspond à la résolution de conflit - parvenir à un accord – diplomatie, (avec des parties prenantes consentantes voire désirantes) ou du moins si pas de résolution de conflit, au moins la logique de réduction d’écart ou de confrontation à l’altérité (négociation / conciliation / arbitrage). Selon Davallon en Sciences de l’information et de la communication (SIC) « « il y a recours à la médiation lorsqu’il y a mise en défaut ou inadaptation des conceptions habituelles de la communication : la communication comme transfert d’information et la communication comme interaction entre deux sujets sociaux » (cité par M. Gellereau, 2013, p. 28). Cette définition conceptuelle couvre l’ensemble des acceptions du termes évoquées ci-dessus. En d’autres termes ici, la médiation intervient quand la communication est mise en difficulté dans sa dimension de transmission d’information et dans sa dimension relationnelle. Elle suppose de rompre avec une communication binaire et linéaire et d’envisager une approche circulaire et en triangulation de la communication. Ainsi définie, on voit comment la médiation peut s’inscrire dans une situation de résolution de conflit (cas du médiateur de la république) comme simplement dans une situation d’amélioration de la communication à l’intérieur d’un secteur d’activité donné (cas de la médiation scientifique ou de la médiation sanitaire).

 

Sur le continent, la médiation est devenue ces dernières années un mot, un concept, une méthode et un outil de développement, d’enseignement, de politique publique et d’interventions que l’on retrouve dans de multiples contextes et de manières protéiformes. Plusieurs dimensions techniques et politiques occasionnent cette récurrence théorique autour du mot ou même cette rhétorique politique. 

 

D’abord, les contextes nationaux sahéliens et même côtiers de l’Afrique de l’Ouest sont de plus en plus en proie à l’insécurité sociale pour les services publics en général et les populations en particulier. On voit une montée fulgurante de la radicalisation sociale conduite par les groupes armées terroristes au Mali, au Burkina Faso, au Niger mais aussi au Bénin, au Togo et dans une moindre mesure au Ghana et en Côte d’Ivoire. Le premier et assez souvent le dernier outil déployé par les Etats et leurs partenaires pour régler les conséquences de ces conflits (comme la prise d’otages) est la médiation. Depuis une dizaine d’années, les Etats sahéliens ont étudié la médiation internationale pour récupérer les otages des mains des djihadistes. 

Ensuite, les services publics de ces Etats, indépendamment du contexte sécuritaire, sont traversés par des conflits récurrents en leur sein d’une part, et entre les agents et les usagers d’autre part. Les conflits portent sur les carrières, les conditions de travail, les droits divers. Comme en France, au Sénégal, au Bénin, etc. ces Etats ont institué une médiation, celle de la République, pour contourner les procédures judiciaires civiles dont l’issue est insatisfaisante pour les parties. Cette médiation des services publics, ou encore médiation institutionnelle, est encore techniquement, politiquement et institutionnellement en chantier, peut-on dire !

Aussi, la vie en famille, dans les villages, dans les villes, etc. est traversée par des conflits. Les couples en séparation ou en processus de divorce, les conflits entre parents et enfants, les conflits entre communautés ethniques (par exemple entre les agriculteurs et les éleveurs peulhs dans les pays sahéliens et côtiers, entre les communautés chrétiennes et musulmanes, entre les sectes et les autres membres des communautés villageoises, etc.), entre les agents de santé et les usagers, entre les enseignants et les apprenants, entre les producteurs et les associations de protection de l’environnement, etc. Dans les villages encore comme dans les villes, le foncier pose généralement un grave problème de cohabitation, l’espace public comme les abords des grandes voies est occupé illégalement par des citoyens qui en ont certainement besoin. Pour régler ces problèmes récurrents aux conséquences sociales immenses, des techniciens et des politiques utilisent des méthodes alternatives de règlement de conflits (compromis, arbitrage, etc.) et la médiation. La Plateforme d’Analyses, de Suivi et d’Apprentissage au Sahel (PASAS) Minka a publié en 2019 un rapport d’expériences en la matière « Médiation et gestion de conflits. A micro-level perspective on the relationships between presence of armed groups, armed conflict violence » Mais généralement, les médiateurs dans ce cas n’ont pas toujours reçu la formation adéquate pour une méthode indiquée et un résultat durable. 

 

Dans les interventions en développement, l’exportation des « modèles de développement » vers des contextes assez souvent inappropriés favorisent des conflits de sens. Depuis quelques années, des chercheurs en sciences sociales, notamment ceux du Laboratoire d’Études et de recherche sur les Dynamiques sociales et le développement Local (LASDEL), évoquent l’idée d’une formation de médiateurs sociaux qui travailleront en synergie avec des facilitateurs (qui accompagnent les processus de développement par la conduite du diagnostic des situations à améliorer et la prise de conscience par les communautés) pour permettre aux développeurs et aux usagers du développement de se comprendre pour changer les situations à problème. Mais que feraient ces médiateurs sociaux ? Comment le feraient-ils ? Quel serait leur ancrage empirique ? Seraient-ils basés dans les villages ou au sein des dispositifs institutionnels d’intervention ?

 

Le LASDEL a eu une expérience de médiation dans la mise en œuvre de modèles de développement ou d’amélioration des services publics comme la référence et la contre référence au Bénin. Elle a montré ses effets positifs et ses limites. Mais sur cette expérience, les jeunes chercheurs ont proposé la création d’une formation en licence et plus tard en master sur la médiation et la facilitation sociales. Appuyée par l’Académie de Recherche et de l’Enseignement Supérieur du Royaume de Belgique, la formation en master a démarré en 2017. Elle a formé à ce jour environ 150 diplômés, les uns sont déjà recrutés dans des institutions de développement et les autres attendent d’exercer. Au cours de cette expérience de formation, des partenariats ont été établis avec quelques institutions du Sud, notamment l’École Nationale Supérieure des Travailleurs Sociaux Spécialisés au Sénégal et l’Université Pédagogique Nationale de Kinshasa en République Démocratique du Congo. L’expérience sénégalaise de la médiation est assez techniquement et méthodologiquement osée. Il est en mis en chantier le concept de médialabre, (forgé de médiation et d’arbre à palabre dans l’objectif de puiser dans le savoir-faire traditionnel des ressources pour alimenter les principes, la posture et la déontologie d’un métier en train de se construire) avec une synergie entre travailleurs sociaux, sociologues, juristes, etc. sur la médiation à faire dans les contextes africains en complexification. 

 Tous ces contextes conflictuels et ces initiatives techniques, politiques et institutionnelles de médiation ont construit un nuage conceptuel et instrumental. Quels sont les espaces d’insertion professionnelle de ces médiateurs ? Concernant le métier de médiateur, il est reconnu par exemple en France avec plusieurs formes. Il y a les médiateurs de santé pair dont la formation passe par des formes variées (quelques heures au sien d’une association, DU ou master selon les propositions des universités) ou encore les médiateurs scientifiques au niveau de formation souvent le plus élevé : niveau master. Par ailleurs, il y a le métier de médiateur public ou de médiateur familial qui relèvent tous les deux de la dimension juridique de la notion. Quelles sont les options à envisager au Bénin en particulier et plus généralement au Sahel en Afrique et dans toutes les Afriques conflictuelles ou en changements sociaux ?

 

2. Objectifs

L’objectif général du colloque est de réunir des chercheurs, des enseignants, des partenaires et les agents de développement et les représentants des services publics pour contribuer selon leurs diverses compétences à donner un contenu conceptuel, technique, des méthodes et des compétences aux médiateurs selon leurs natures et leurs contextes. Notre appel s’inscrit dans une volonté de mieux circonscrire ce que pourrait être un médiateur et sa formation en contexte africain pluriel au regard de la diversité des objets. 

 

Trois objectifs spécifiques sont visés :

- Faire l’inventaire des types de médiations à l’œuvre dans les différents contextes nationaux et internationaux en Afrique ; penser les points de convergence et de divergence entre ces différentes formes de médiation et circonscrire le champ. Est-ce que l’ensemble de ces pratiques qui se nomment « médiation » relèvent-elles vraiment de la notion ?

 

- Approfondir les réflexions sur la pertinence, la spécificité technique, méthodologique et institutionnelle de chaque type de médiation au regard des champs et des contextes en Afrique ;

 

- Renforcer, avec l’appui de l’Etat béninois, et plus généralement les Etats de l’Afrique Ouest (en particulier au sahel) et les employeurs privés organisationnels (comme les ONG, les projets, les programmes, etc.), la formation des spécialistes de chaque type de médiation pour servir à tous les niveaux requis. 

 

3. Axes

Cinq axes, non exhaustifs, de communications sont prévus. Toutefois, des communications originales hors de ces axes sont aussi attendues. 

 

Axe 1 : la médiation de proximité pour le vivre ensemble au sein des communautés, des familles et des services publics

Les expériences belges, françaises, sénégalaises, etc. de médiation portent sur le vivre ensemble. Elles concernent les voisins, les agents de services et les usagers, les voisins de quartier, les communautés ethniques ou religieuses, les enjeux fonciers, etc. Quelles sont les méthodes, les postures, les démarches, les compétences réglementaires et techniques ?

 

Axe 2 : la médiation institutionnelle au profit des citoyens usagers des services publics

Le Bénin par exemple a institué le médiateur de la république. C’est le cas pour plusieurs autres pays au Sud comme au Nord. Comment se conçoit et se met en œuvre cette médiation ? Quels sont les profils des médiateurs opérationnels ? Comment se coordonne-t-elle avec les autres institutions de l’Etat ? Quelles en sont les expériences ? Les leçons à tirer, etc. ? 

Axe 3 : la médiation dans les interventions de développement 

Il s’agit de toute intervention visant à faciliter l’appropriation et la pérennité des interventions en développement en agissant sur les positions idéologiques et instrumentales des agents de développement et des bénéficiaires des dispositifs. Quels sont les profils de ces médiateurs ? Comment procèdent-ils ? Quels rapports entretiennent-ils explicitement ou implicitement avec les autres acteurs du développement au Sud ? A quels moments des interventions de développement interviennent-ils ? Quels rapports entretiennent-ils avec la communauté communément appelée bénéficiaire du développement ? Quelle est la plus-value de leurs interventions au regard des traditions de développement ?

 

Axe 4 : La médiation scientifique 

 Dans le contexte africain, les défis de développement sont nombreux La médiation scientifique peut jouer un rôle important en aidant à combler le fossé entre la recherche scientifique et les besoins réels des communautés. La médiation scientifique est l’ensemble des méthodes, et des outils qui visent à rendre les connaissances scientifiques accessibles, pertinentes et applicables dans les milieux de pratiques (scientifiques, professionnels, gestionnaires, décideurs, etc..) et dans les communautés. En facilitant la diffusion des connaissances scientifiques de manière claire et compréhensible, la médiation scientifique contribue à autonomiser les communautés et les décideurs en leur fournissant les outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées. La médiation scientifique dans les pays africains est une voie prometteuse pour favoriser le développement en exploitant le pouvoir transformateur de la science pour le bénéfice de tous. Comment se fait-elle ? Quels en sont les arguments scientifiques ? Quelle est sa place dans les universités et dans les organes de production scientifique ? Quels sont ces liens avec le développement ? Quelle est sa place dans les universités, laboratoires et centres de recherches ?

 

Axe 5 : la médiation politique nationale et internationale

Pour régler les grandes crises électorales, environnementales, le conflit armé au Sahel, etc. il y a des médiations mises en place. Comment se construit ce type de médiation ? Quels en sont les acteurs et leurs profils ? Quelle place peut-on accorder à cette médiation dans les conflits de la géopolitique internationale ? Quel rapport a-t-elle avec l’espace universitaire et scientifique ? 

 

 

Proposition de résumé

Les communications du colloque porteront sur les axes ci-dessus mentionnés. En plus de ces pistes suggérées, les organisateurs sont disposés à recevoir des contributions pertinentes dans le domaine des conflits sociaux et de leur règlement. Il est aussi nécessaire que ces contributions soient placées dans le contexte africain.

 

Les personnes intéressées par le présent appel sont priées de s’inscrire en ligne via le lien « https://lasdel-benin23.sciencesconf.org » et soumettre leur résumé. Les résumés (ne dépassant pas 250 mots) doivent être soumis sur le site de la conférence avant le 30 août 2023. Chaque auteur ne peut soumettre qu'une seule proposition. Le Comité du programme de la conférence informera les candidats retenus le 30 septembre 2023. La conférence se déroulera essentiellement en présentiel. Les communications des participants sélectionnés doivent être soumises avant le 1er novembre 2023 à andremensah.aina@gmail.com et ybarkissou@yahoo.fr pour en permettre la lecture préalable. 

Agenda du colloque

- Lancement de l’appel à communication : 4 août 2023

- Date limite de réception des résumés : 30 août 2023

- Notification des acceptations de résumés : 30 septembre 2023

- Date limite de réception des communications : 1er novembre 2023

- Tenue du colloque : 08 au 10 novembre 2023

- Date limite de réception des articles : 15 décembre 2023

- Publication des actes du colloque : Février 2024

 

 

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